Au café
Tous les premiers jeudis du mois entre 2015 et 2017, le collectif tient un kiosque littéraire au Café littéraire de Vevey. Le principe est simple : le public vient déposer commande d'un texte, le collectif l'écrit en direct et l'imprime sur un marque-page personnalisé. Le traitement de chaque commande dure une trentaine de minutes.
Quelques commandes traitées le jeudi 1er juin 2017 :
Second date // MH
Une femme commande un texte qui puisse l'aider lors d'un "second date"
Tu te dis : « Putain, il parle bien. » Mais tu te dis aussi : « Putain, il parle bien mais qu’il parle moins et qu’il me prenne la main ! »
Alors tu demandes conseil à ta fille. Elle ne sait pas comment te répondre : elle veut que tu sois heureuse mais elle a peur que tu sois déçue.
Tu te tournes vers ton beau-fils, pour avoir une perspective masculine. Il utilise une belle métaphore de gamer, un truc sur le « second level ». Tu fais comme si tu avais compris.
Tu te penches vers ton petit-fils pour lui confier ton trouble et il te sourit en tirant la langue. Tu ne sais pas s’il se moque ou s’il t’encourage.
Tu te dis que les jeunes savent mieux s’y faire. Tu les observes au café, se draguer. Tu vois comme ils sont maladroits ? Observe leurs regards qui s’évitent, leurs pieds qui tremblent sous la chaise. Et tout d’un coup, à cause de Françoise Hardy qui passe dans les enceintes, l’un n’a pas entendu ce que l’autre a dit, approche son visage, puis l’autre croit qu’il a envie de l’embrasser, offre ses lèvres à l’autre qui n’en demandait pas tant. Et voilà, c’est fait.
Fais comme eux, fais confiance à la maladresse universelle de l’univers. Il suffit d’un contact et tu seras fixée. Renverse ton verre et regarde ce qui se passe. Le reste vous appartient.
L'enfant qui n'est pas venue // BP
Une femme commande un texte sur : L'enfant qui n'est pas venue
Depuis dix ans, au mois de juin, je surveille. Les candidats qui transpirent sous mon regard tentent d'obtenir un baccalauréat que moi, je n'ai jamais obtenu. Il faut dire qu'en mon temps, les choses étaient différentes, une autre époque. Et de toute façon, professer, enseigner, cela ne m'intéresse pas. Surveiller me suffit, et pas besoin de quitter le lycée des piles de copies sous le bras.
Au mois de juin, donc, c'est l'heure du baccalauréat et je me mets au travail. Il fait généralement une chaleur étouffante. À mon entrée dans la salle de gymnastique, qui fait office de salle d'examen et dont pour l'occasion le sol est recouvert d'un tapis de feutre, je m'empresse d'ouvrir les fenêtres.
Et voilà que déjà les adolescents se pressent à la porte. Ils entrent en se bousculant, courent déposer contre la rangée d'espaliers leur sac duquel ils extirpent stylos à bille, marqueurs et barres énergétiques. Puis le silence peu à peu s'installe.
Il faut alors s'occuper des retardataires. Yeux boursoufflés par le sommeil, marque de draps de lit sur la joue, ils supplient qu'on les laisse entrer à coup de mots-clé : horaire, retard, madame, bus, métro. Mais les règles sont les règles, elles sont connues de tous. Pas moyen de les laisser entrer : il ne faudrait pas non plus qu'on me prive de travail en juin prochain.
Enfin, plus tard, il me reste à répertorier ces adolescents qui ne sont pas venus, réduits à un nom sur ma liste de candidats. Leur examen les attend à la place qu'ils ont déserté. Maladie soudaine ? Angoisse paralysante ? Ultime provocation au terme d'une scolarité en dent de scie ?
Ou peut-être que ces adolescents n'ont jamais été là. Il sont absents depuis le premier jour de l'année, depuis le premier jour du lycée, si ça se trouve. Et sans doute ne souhaitent-ils pas grandir et se cachent dans leur chambre d'enfant, volets fermés, en attendant que cela passe.
Vagabond dans l'âme // CF
Un homme commande un texte sur l'envie de s'échapper
On disait de lui qu’il était comme ça depuis petit, sauvage et mystérieux. Cela lui importait peu ou plutôt l’arrangeait. On l’avait étiqueté, il n’avait plus besoin de se justifier. Tant mieux. Aux longues histoires d’amour, il préférait les nuits - blanches par leurs heures et rouges par leurs passions - qui se ternissaient au matin, et aux carrières professionnelles ronronnantes, les petits boulots vivifiants. Il vivait heureux, près du lac qui était le seul élément stable de son quotidien. Stable sans jamais être semblable. Les vagues le remuaient sans cesse et, de vagues en vagues, il fut soudain saisi d’une envie irrépressible de s’échapper. Il commença alors à marcher, sans savoir où ses pas le menaient, il marcha vite, de plus en plus vite, ivre de cette nouveauté, ivre de cette inconnue. Sa barbe poussa, ses habits s’usèrent, sa peau se durcit et ses yeux ne cessèrent de s’écarquiller. On venait à lui comme les petits enfants jadis allaient à Jésus, il fascinait, intriguait. Ses parents confiaient aux journalistes : il est comme ça depuis petit. Au lendemain, on pouvait lire : Un vagabond dans l’âme, une histoire pas comme les autres.
Tous les premiers jeudis du mois entre 2015 et 2017, le collectif tient un kiosque littéraire au Café littéraire de Vevey. Le principe est simple : le public vient déposer commande d'un texte, le collectif l'écrit en direct et l'imprime sur un marque-page personnalisé. Le traitement de chaque commande dure une trentaine de minutes.
Quelques commandes traitées le jeudi 1er juin 2017 :
Second date // MH
Une femme commande un texte qui puisse l'aider lors d'un "second date"
Tu te dis : « Putain, il parle bien. » Mais tu te dis aussi : « Putain, il parle bien mais qu’il parle moins et qu’il me prenne la main ! »
Alors tu demandes conseil à ta fille. Elle ne sait pas comment te répondre : elle veut que tu sois heureuse mais elle a peur que tu sois déçue.
Tu te tournes vers ton beau-fils, pour avoir une perspective masculine. Il utilise une belle métaphore de gamer, un truc sur le « second level ». Tu fais comme si tu avais compris.
Tu te penches vers ton petit-fils pour lui confier ton trouble et il te sourit en tirant la langue. Tu ne sais pas s’il se moque ou s’il t’encourage.
Tu te dis que les jeunes savent mieux s’y faire. Tu les observes au café, se draguer. Tu vois comme ils sont maladroits ? Observe leurs regards qui s’évitent, leurs pieds qui tremblent sous la chaise. Et tout d’un coup, à cause de Françoise Hardy qui passe dans les enceintes, l’un n’a pas entendu ce que l’autre a dit, approche son visage, puis l’autre croit qu’il a envie de l’embrasser, offre ses lèvres à l’autre qui n’en demandait pas tant. Et voilà, c’est fait.
Fais comme eux, fais confiance à la maladresse universelle de l’univers. Il suffit d’un contact et tu seras fixée. Renverse ton verre et regarde ce qui se passe. Le reste vous appartient.
L'enfant qui n'est pas venue // BP
Une femme commande un texte sur : L'enfant qui n'est pas venue
Depuis dix ans, au mois de juin, je surveille. Les candidats qui transpirent sous mon regard tentent d'obtenir un baccalauréat que moi, je n'ai jamais obtenu. Il faut dire qu'en mon temps, les choses étaient différentes, une autre époque. Et de toute façon, professer, enseigner, cela ne m'intéresse pas. Surveiller me suffit, et pas besoin de quitter le lycée des piles de copies sous le bras.
Au mois de juin, donc, c'est l'heure du baccalauréat et je me mets au travail. Il fait généralement une chaleur étouffante. À mon entrée dans la salle de gymnastique, qui fait office de salle d'examen et dont pour l'occasion le sol est recouvert d'un tapis de feutre, je m'empresse d'ouvrir les fenêtres.
Et voilà que déjà les adolescents se pressent à la porte. Ils entrent en se bousculant, courent déposer contre la rangée d'espaliers leur sac duquel ils extirpent stylos à bille, marqueurs et barres énergétiques. Puis le silence peu à peu s'installe.
Il faut alors s'occuper des retardataires. Yeux boursoufflés par le sommeil, marque de draps de lit sur la joue, ils supplient qu'on les laisse entrer à coup de mots-clé : horaire, retard, madame, bus, métro. Mais les règles sont les règles, elles sont connues de tous. Pas moyen de les laisser entrer : il ne faudrait pas non plus qu'on me prive de travail en juin prochain.
Enfin, plus tard, il me reste à répertorier ces adolescents qui ne sont pas venus, réduits à un nom sur ma liste de candidats. Leur examen les attend à la place qu'ils ont déserté. Maladie soudaine ? Angoisse paralysante ? Ultime provocation au terme d'une scolarité en dent de scie ?
Ou peut-être que ces adolescents n'ont jamais été là. Il sont absents depuis le premier jour de l'année, depuis le premier jour du lycée, si ça se trouve. Et sans doute ne souhaitent-ils pas grandir et se cachent dans leur chambre d'enfant, volets fermés, en attendant que cela passe.
Vagabond dans l'âme // CF
Un homme commande un texte sur l'envie de s'échapper
On disait de lui qu’il était comme ça depuis petit, sauvage et mystérieux. Cela lui importait peu ou plutôt l’arrangeait. On l’avait étiqueté, il n’avait plus besoin de se justifier. Tant mieux. Aux longues histoires d’amour, il préférait les nuits - blanches par leurs heures et rouges par leurs passions - qui se ternissaient au matin, et aux carrières professionnelles ronronnantes, les petits boulots vivifiants. Il vivait heureux, près du lac qui était le seul élément stable de son quotidien. Stable sans jamais être semblable. Les vagues le remuaient sans cesse et, de vagues en vagues, il fut soudain saisi d’une envie irrépressible de s’échapper. Il commença alors à marcher, sans savoir où ses pas le menaient, il marcha vite, de plus en plus vite, ivre de cette nouveauté, ivre de cette inconnue. Sa barbe poussa, ses habits s’usèrent, sa peau se durcit et ses yeux ne cessèrent de s’écarquiller. On venait à lui comme les petits enfants jadis allaient à Jésus, il fascinait, intriguait. Ses parents confiaient aux journalistes : il est comme ça depuis petit. Au lendemain, on pouvait lire : Un vagabond dans l’âme, une histoire pas comme les autres.